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Pourquoi la série "Emily in Paris" nous obsède-t-elle autant ?



2020, qui d’autre qu’elle pour nous amener “Emily in Paris” ? On était déjà à un indice tellement élevé sur l’échelle de l’étrange, pourquoi ne pas ajouter à cette année surréaliste une série complètement déconnectée de la réalité qui obsède la terre entière (ou presque) ? Et pourtant, “Emily in Paris”, personne ne l’avait vue venir. Elle est arrivée par un beau jour de septembre sous forme de trailer, nous balançant en pleine face une minute et 51 secondes d’un Paris assailli par les clichés à l’américaine, un peu comme si “Gossip Girl” et “Midnight in Paris” avaient fait un enfant. Le sort en avait décidé ainsi : nous allions détester cette série.


Une fois la fiction sur Netflix, la logique aurait voulu qu’on ne se risque même pas à cliquer sur l’encart menaçant qui montre Lily Collins en plein selfie devant sa fenêtre, mais l’être humain est bien trop rongé par la curiosité (malsaine) pour ne pas tenter l’expérience. “C’est juste pour voir” est en général l’excuse avancée pour justifier une telle impudence. Et ainsi, la boîte de Pandore fut ouverte pour la seconde fois.


Emily comme vous ne l’avez jamais vue (comme vous l’avez tous vue)


Et là, on est pas déçu.e du voyage. (Après tout pourquoi le serait-on ? On a tous cliqué sur cet encart en pleine connaissance de causes). Emily est belle, a les dents blanches, possède un style vestimentaire somme toute excentrique et est américaine. Sa boss, qui a toujours rêvé d’aller vivre à Paris (genre c’est l’accomplissement de sa vie, ce pourquoi elle se lève chaque matin) et dont le désir le plus fort va enfin se réaliser puisqu’elle est mutée là-bas pour le boulot, lâche tout lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte (et ça on le comprend avant même la confirmation grâce à la sempiternelle scène de la femme qui se trouve soudainement incommodée par une odeur qui ne dérange personne d’autre et qui se met à vomir dans la poubelle la plus proche, vous savez).

C’est donc Emily, visiblement numéro 2 sur le poste, qui fait ses valises pour la capitale. Elle laisse derrière elle Chicago et un boyfriend dont chacun connaît déjà l’espérance de vie limitée (en tant que personnage dans la série. Je pense qu’il est en pleine santé sinon) et débarque à Paris. Après un trajet en taxi digne d’une visite guidée qui ne manque pas un seul plan sur les monuments de la ville, Emily découvre son appartement (que les scénaristes ont appelé, dans un moment d’anthologie, “chambre de bonne”) de 35 m2 avec vue sur la tour Eiffel. Puis vient le moment de rencontrer l’équipe avec laquelle elle va travailler pendant son année dans l’Hexagone et bien évidemment, tout le monde la regarde mal. Un : parce qu’elle ne parle pas français. Deux : parce qu’ils sont parisiens.


Ah oui, Emily est Social Media Manager, soit experte en réseaux sociaux (mais n’a que 48 followers sur Instagram lors du premier épisode), et essaie en quelque sorte d’expliquer à l’agence comment utiliser l’influence de ces plateformes pour l’essor de la marque. Bref ses collègues sont méchants avec elle, tout le monde clope et chaque scène compte à minima un verre de vin dans son champ. En plus son copain - qui devait lui rendre visite - se refroidit à l’idée d’une relation longue distance (épisode 2, pas mal) et leur histoire se termine (j’accélère un peu parce que sinon on est pas rendu). C’est pas la joie. Heureusement, Emily peut compter sur sa nouvelle meilleure amie Mindy (ça tombe bien, on est pas sûr qu’elle en avait une aux Etats-Unis, sachant que l’existence de son cercle social est passé sous silence), qu’elle a rencontré deux jours plus tôt dans un parc, mais aussi sur son voisin du dessous, Gabriel, le chef sexy et vraisemblablement unique autre habitant de l’immeuble de cinq étages, puisque dès qu’elle est dans le périmètre du bâtiment (porte d’entrée, hall, cour intérieure, etc.), vous pouvez être sûr.e qu’elle va le croiser lui, et lui seul.

Finalement, Emily gagne en crédibilité dans son agence (car elle réussit tout ce qu’elle entreprend et les prospects l’adorent bla bla bla 🥱), sans oublier de mentionner le fait qu’elle gagne chaque jour des milliers de nouveaux followers en postant des selfies trop zoomés et des billets d’humeur retweetés par Brigitte Macron (les scénaristes n’ont vraiment peur de rien). Un peu galvanisée par ce succès, Emily se sent pousser des ailes et embrasse Gabriel mais pauvrette… Voilà que - oh non, auraient-ils osé ? Oui, bien sûr, ils ont mis au point un obstacle, afin que l’histoire d’amour phare de la série ne soit pas aussi simple - Gabriel est déjà en couple… avec Camille (Finalement c’est un peu le même scénario qu’une telenovela, mais avec des prénoms français). Alors elle, je ne vous en avait pas parlé, mais elle avait rencontré Emily quelques jours plus tôt dans la rue, alors que cette dernière lorgnait sur un bouquet de roses à 5€ (qui dit mieux ?) chez le fleuriste, et elles étaient évidemment devenues les meilleures amies du monde. Oopsie Daisy donc, nous voilà avec un triangle amoureux sur les bras.


Pour faire vite : Emily et Gabriel décident de rester amis, Emily et Camille se croisent 546 fois par hasard dans les rues de la capitale car ce sont des choses qui arrivent, la boss d’Emily (la française, pas celle qui a abandonné son rêve d’aller à Paris parce qu’elle est enceinte et qui, entre parenthèses,- même si on est déjà entre parenthèses -, n’a pas de famille, donc rien qui la retient à Chicago) s’assouplit un peu et montre les signes d’une femme blessée par l’amour (comment justifier autrement cette carapace de figure autoritaire ? Je vous le demande), Emily va au café de Flore, à l’opéra, porte des bérets comme elle respire et se saoule avec sa bonne copine Mindy dans le quartier de Montmartre, où il n’y a pas un chat dans les rues. Alors qu’enfin, la vie à Paris lui sourit, Emily surprend Gabriel et Camille en pleine dispute (car ce dernier a décidé de repartir pour la Normandie, sa terre natale, afin d’ouvrir un resto) et sans trop creuser les tenants et les aboutissants pour le téléspectateur, le couple finit par rompre, laissant la voie dégagée pour un #Gabrily ou un #Emiliel. Finalement, Gabriel ne part plus en Normandie car un client de l’agence d’Emily décide d’aider ce brave gars qu’il ne connaît ni d’Eve ni d’Adam et propose de lui prêter les fonds pour ouvrir son resto à Paris. Gabriel accepte et passe entre temps une nuit de folie avec Emily. Le lendemain, l'héroïne de la série reçoit un texto de sa BFF Camille qui vient d’apprendre que son ex ne quitte finalement pas la capitale (c’est vraiment idiot, à 24 heures près de leur rupture) et veut “parler” à Emily. Clap de fin.

“So bad it’s good” : et si finalement, je n’avais pas détesté ?


Bilan des courses ? Je voulais détester la série, mais tel l’arroseur arrosé, je me suis laissée prendre au piège du “So bad, it’s good”, vous savez, ce phénomène qui touche parfois les films et séries considérés comme si mauvais qu’ils en deviennent culte. Je ne dis pas qu’”Emily in Paris” restera dans les annales comme un chef d’œuvre de la culture, mais le succès rencontré par la série est indéniable. Quoi ? Tout le monde a trouvé le scénario navrant et les clichés bourratifs ? En attendant, ce même “tout le monde” a regardé la série jusqu’au bout, comme un terrible accident que l’on ne peut s’empêcher de fixer. Mais alors comment expliquer cet engouement non désiré ? Est-ce par sentiment de toute puissance, l’univers absurde d’Emily in Paris” nous plaçant dans la position de celui qui juge avec délectation, tel le spectateur qui dévore goulûment son popcorn devant une situation chaotique ? Peut-être. Mais le manque de réalisme de la série n’est-il pas justement ce que nous recherchons ? Une esthétique plaisante et un scénario complètement utopique, une histoire d’amour dans un Paris magnifié qui finalement, par son éloignement avec la réalité, fait oublier au spectateur les temps qui courent. Je t’avais peut-être mal jugée, “Emily in Paris”.


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