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Les héroïnes noires dans les films d’animation : où en est-on ?




En tant que blanche, il était facile pour moi, enfant, d’ignorer le manque de diversité dans la culture, puisque j’ai grandi avec des princesses Disney et des héroïnes de dessins-animés qui me ressemblaient. Évoluant dans un monde baigné d'insouciance qui gravitait autour des Zinzins de l’espace et des crêpes Whaou, il ne m’avait jamais traversé l’esprit, à l’époque, que les petites filles noires n’avaient pas d’héroïnes de dessins-animés à qui s’identifier. Chez les princesses Disney des années 90, c’est bien simple, seules Mulan, Jasmine et Pocahontas ne sont pas blanches. Faute de princesse noire à l’horizon, certaines optaient en modèle de représentation pour “la plus bronzée… donc Pocahontas”, m’explique une amie.


La Princesse et la Grenouille : c’est pas encore ça


Il faudra attendre 2009, soit 72 ans après Blanche-Neige, pour que débarque une héroïne Disney noire : Tiana, dans La princesse et la grenouille. Le film, dont les deux réalisateurs sont blancs, a récolté quelques critiques, à commencer par le fait que la princesse - qui n’en est pas une au début du film - bosse comme serveuse dans un resto en Louisiane. On peut voir ce choix comme la volonté de montrer l’héroïne Disney sous un nouveau jour, plus émancipé, où elle gagne courageusement sa croûte pour atteindre ses rêves plutôt que de pousser la chansonnette avec des animaux. Mais le hic est là : quand on y pense, les princesses Disney sont quasi toutes filles de monarques ou issues de milieu aisé (oui, oui, même Cendrillon qui fait la poussière chaussée de sabots en bois pendant les trois quarts du film avait un père riche), à l’exception de Belle et peut-être Mulan. Alors pourquoi ne pas donner à la première princesse Disney noire le privilège d’être, comme ses consoeurs, fille de roi (par exemple, hein) ? Pour l’anecdote, l’histoire a d’ailleurs échappé de peu à un bon gros tollé puisque les scénaristes avaient initialement prévu d’appeler l’héroïne Maddy, un prénom décrié pour être l’amalgame de Mammy et Addy, deux noms couramment donnés aux femmes esclaves. Cerise sur le gâteau, Maddy devait être femme de ménage au sein d’une famille d’aristocrates blancs. Comment se tirer une balle dans le pied, façon Disney.


Le deuxième élément à avoir un tantinet fait tiquer les critiques, fut de voir la première princesse Disney noire transformée en grenouille une bonne partie du film. Alors certes, dans la famille des donzelles qui perdent leur forme humaine, il y a aussi Juliette du Cygne et la princesse et Fiona de Shrek, mais Juliette et Fiona ne sont pas...devinez qui ? La première princesse Disney noire . Répondre au manque de représentation en donnant à l’héroïne tant attendue l’apparence d’un amphibien pendant 23 minutes sur les 40 de sa présence à l’écran ? Peut mieux faire. Et que dire du prince, dont l’ethnicité demeure un mystère ? Il n’est peut-être pas blanc, mais il n’est pas noir non plus. Une occasion ratée de la part de Disney de présenter pour la première fois, là aussi, un prince noir. Au lieu de ça, les scénaristes jouent la carte de la love story interraciale entre une héroïne noire et un type qui finalement, n’existe pas.



Karaba la sorcière : l’antagoniste


La réflexion me mène finalement vers la seule autre femme noire issue d’un film d’animation célèbre de mon enfance à laquelle je puisse penser, Karaba la sorcière. Ultime boss lady auréolée de toute-puissance, elle n’a cependant rien de l’héroïne classique en raison de sa nature cruelle, engendrée par les drames de sa vie. Alors que les tracas des princesses Disney se résument bien souvent à la jalousie d’une vilaine marâtre, Karaba, elle, a été violée par plusieurs agresseurs. “Pourquoi Karaba la sorcière est-elle méchante ?”, interroge Kirikou à tout bout de champ. La question reste en suspens jusqu’aux explications de son grand-père, qui lui raconte que des hommes ont enfoncé une épine empoisonnée dans la colonne vertébrale de la jeune femme. Michel Ocelot, le réalisateur, l’explique lui-même sur son site : “ L'épine empoisonnée dans le dos de Karaba est un symbole, qui représente le mal que les hommes font aux femmes, et une souffrance qui ne disparaît pas. Ce que raconte le Grand-Père est un viol collectif.” Un personnage fort, certes, mais peut-être trop réel pour coller avec le monde onirique des enfants.


Et depuis ?


Au cours des dernières années, quelques films et séries d’animation mettant en lumière des héroïnes noires ont fait leur entrée, timidement. Docteur La Peluche, Aya de Yopougon, l’oscarisé Hair Love ou encore plus récemment, Little Nappy, sorti sur YouTube en début d’année. L’occasion de refléter davantage un monde qui a, en grande partie, grandi sans miroir.




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